2021-08-31

Anthropologie et Sociétés Review of OK Pak English Google translation below

Pak Ok-Kyung, 2019, Les plongeuses jamnyo (haenyo) de Jeju en Corée, préface de Kyung-Soo Chun, traduit de l’anglais par Alice Boucher. Genève et Lausanne, Fondation culturelle Musée Barbier-Mueller et Ides et Calendes, 176 p., cartes, illustr., glossaire, bibliogr.

Sous les dehors accueillants d’un album de photographies (prises par Ok-Kyung Pak et Koh Sing-Mi), cet ouvrage nous offre une étude ethnographique succincte mais rigoureuse des jamnyo, femmes plongeuses en apnée, de Jeju, en Corée du Sud, une île volcanique de 1840 km2 située au large de la péninsule coréenne. Les plongeuses jamnyo (haenyo) de Jeju en Corée s’inscrit dans un intérêt grandissant pour les sociétés où les femmes occupent des positions sociales importantes. Comme les femmes plongeuses ama du Japon, les jamnyo ont longtemps fait vivre leurs communautés de leur activité de pêche. Plus récemment, elles ont attiré l’attention des journalistes et des entreprises de tourisme, mais peu de chercheurs se sont adressés aux femmes elles-mêmes, longtemps dépeintes par la société dominante comme des travailleuses ignorantes et immorales — ne respectant ni par leurs comportements ni par leur indépendance économique et sociale les conventions du code éthique et social du néoconfucianisme.

Il existe au sujet de la société insulaire de Jeju très peu de sources qui ne soient pas de langue coréenne ; ce nouvel apport en français est donc a priori le bienvenu. Le livre de Pak se démarque aussi par son approche ethnographique classique en partie émique : la plupart des références coréennes servent en effet les idéaux néo-confucéens de la civilisation coréenne continentale, considérés comme la référence idéale ou « culture réelle » par les lettrés coréens. Pak prend au contraire pour point de départ la culture vécue localement par les femmes elles-mêmes. Il s’agit donc ici d’un apport original d’un grand intérêt. Les photographies en couleurs sont plus que des illustrations : elles démontrent d’une part la part du paysage dans l’identité des insulaires et, d’autre part, l’engagement personnel, physique et corporel des femmes dans leur travail et dans leur communauté. 

Cho Hae-Jeong, ethnologue coréenne, aborda en 1978-1979 cette « culture des femmes » par le biais d’une approche féministe. Tout en donnant son accord aux conclusions de sa collègue, Pak adopte une vision élargie du contexte historique, social, culturel et religieux de la vie de ces femmes. Elle a dans sa mire autant les voix féminines que les voix masculines, autant les rites confucéens que les rituels chamaniques, autant les relations historiques difficiles et douloureuses avec l’extérieur que les développements technologiques et les soubresauts du marché international. À un autre niveau, cette monographie est aussi un plaidoyer passionné pour le respect dû à ces femmes, et dû aussi à l’héritage qu’elles laissent au monde, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO depuis décembre 2016. 

L’ouvrage se divise en cinq chapitres descriptifs suivis d’une courte conclusion. Un premier chapitre survole l’histoire de ce peuple qui fut, jusqu’à la fin du premier millénaire, un royaume maritime et commercial semi-indépendant. L’île de Jeju eut ensuite à souffrir plus de dix siècles de pillage et d’invasions successives par les royaumes coréens (918-1392), puis par les Mongols (1260-1368), puis par le royaume Koryo (jusqu’en 1392) qui fit de Jeju une forteresse militaire, imposant taxes et tributs aux familles, et forçant les hommes — et même les femmes — à servir dans ses armées. Le royaume coréen de Choseon (1392-1910) enferma Jeju dans un néo-confucianisme rigide, détruisant les sanctuaires chamaniques (1702), limitant la pêche et imposant finalement une quarantaine de deux siècles à la population (entre 1629 et 1839). Les femmes prirent la relève pour assurer la subsistance de leur famille. En 1910, les armées japonaises réorganisèrent le travail des femmes au profit du Japon. La fin de la Seconde Guerre mondiale vit de nouvelles révoltes à Jeju, dont la fameuse insurrection du 3 avril 1948, dite « Gauchiste », dont la répression fit 30 000 morts (un dixième de la population), détruisit 160 villages et dura jusqu’à la fin de la guerre de Corée en 1953. Jeju fut mise à l’écart et oubliée par le continent. Ce n’est qu’à partir de 1960 que l’économie se redressa avec l’exportation de produits de la mer et des vergers qui permit aux femmes de confirmer leur dominance sur l’économie et leur indépendance, des acquis mis en danger par le développement d’une nouvelle industrie : le tourisme de masse. 

Le deuxième chapitre décrit le système de parenté particulier de Jeju, que les habitants appellent le kwendang. Ce système de parenté bilatéral coexiste avec des éléments d’un système de parenté strictement patrilinéaire et néo-confucéen, qui affirme la supériorité des hommes et contrôle leur statut officiel dans la sphère publique et les affaires officielles. Par contre, au quotidien, Pak décrit des relations de parenté pragmatiques, admettant des liens horizontaux où le voisinage, la cohabitation et la coopération sont des facteurs essentiels, imbriqués dans le territoire et la vie du village, d’où le terme parenté de village. Le village est constitué de familles nucléaires reliées entre elles par le kwendang, dont les membres sont recrutés pour les grands travaux, et qui permet aux femmes, chefs de famille, de gérer ellesmêmes l’organisation de la vie quotidienne de leur famille et de leurs communautés, depuis les équipes de plongée et les travaux des champs jusqu’aux rituels chamaniques. 

Le troisième chapitre décrit le monde des plongeuses. Les jamnyo travaillent en équipes composées de femmes du village, donc apparentées. Le produit de leur pêche nourrit leur famille et assure le financement des activités du village. Activité autrefois partagée avec les hommes, la pêche en plongée est dangereuse : elle exige compétence, discipline et coopération entre les plongeuses, et elle est supportée par des rituels qui soulignent les liens sacrés de parenté entre les habitants de la terre et les puissances de la mer. Les hommes, autrefois pêcheurs, marins et éleveurs de chevaux, n’ont plus accès à la mer.

Le quatrième chapitre détaille les rituels du complexe chamanique local. Ce complexe dote les femmes d’une filiation matrilinéaire qui en fait des descendantes des déesses locales et, ultimement, de la déesse-dragon, déesse ancestrale de la mer. Ces déesses cautionnent, entre autres, les activités de plongée et de collecte des produits de la mer par les femmes. Les dix-huit mille divinités locales (dont 80 % sont des déesses) honorées dans les 350 sanctuaires de l’île accueillent hommes et femmes de leurs villages pour des rituels communautaires organisés par les femmes, en particulier par les plongeuses, bien que les hommes puissent aussi y participer. Un second système de rituels masculins et néo-confucéens, conduits par des prêtres, s’adresse aux ancêtres de la lignée paternelle. Fait à signaler : les sanctuaires conservent les archives et la littérature orale chamanique préserve la mémoire collective en rappelant les événements historiques.

Le cinquième chapitre résume l’influence du néo-confucianisme à Jeju. Les administrateurs coréens ne purent imposer à l’île qu’une version affaiblie des normes confucéennes qui demeurèrent un rêve inachevé pour les élites de la petite colonie. Comme l’explique Pak, la question de l’identité de l’île en tant que société culturellement différente des autres territoires coréens est le thème central des études savantes sur Jeju, études qui reprennent des notions comme une « double réalité » ou une « culture du compromis ». Mais Pak conteste ces notions et soutient l’idée que la culture de Jeju s’est construite à partir de la coexistence d’éléments de la culture continentale avec une culture indigène encore active et qui soutient en particulier l’indépendance des femmes : « Les rapports entre un système national dominant [en ce cas-ci, néo-confucéen] et une ancienne société civile locale ne sont pas nécessairement antagonistes, même si celle-ci a pu être contrainte de vivre dans des conditions de précarité, de marginalisation, et de colonisation » (p. 30).

Les plongeuses jamnyo (haenyo) de Jeju en Corée nous laisse nécessairement sur notre faim en ce qui concerne l’origine de ce système social particulier alors que l’auteure fait allusion, sans conclure, à des racines qui paraissent plus profondes que les circonstances historiques et géographiques privilégiées par les auteurs coréens comme explication des tendances matrilinéaires. L’auteure réfute, implicitement mais fermement, le schéma classique d’une matrilinéarité provoquée par l’affaiblissement des domaines masculins et la nécessité pour les femmes de prendre en main la pêche et le travail des champs. Les insulaires s’accordent pour reconnaître un double système de parenté, l’un que l’on peut dater du XVIIe siècle, l’autre qui semble plus ancien, d’autant plus qu’il correspond d’une certaine façon à celui de la Corée préconfucéenne. Ensuite, les systèmes rituels chamaniques aujourd’hui féminins, mais autrefois ouverts aux hommes comme aux femmes, les mythes d’origine et les sanctuaires locaux dédiés à des déesses ancestrales sont autant d’indices qui renvoient à une ancienne influence matrilinéaire.

Si la quasi-totalité des auteurs cités reprend l’idée que l’idéologie néo-confucéenne a échoué à s’implanter définitivement dans l’île de Jeju parce que le milieu naturel est trop rude pour que s’y développe une société normale, Pak fournit, sans s’imposer, assez d’indices pour que l’on puisse supposer une autre hypothèse : se pourrait-il que les habitants de Jeju aient résisté aux modèles chinois à cause de la force de leur culture originelle, sinon matrilinéaire, du moins bilatérale, et d’un idéal de coopération sociale et écologique solidement enraciné parmi les femmes ?

Cet ouvrage est accessible sans connaissances préalables et s’adresse au grand public autant qu’aux chercheurs. 

Marie-Françoise Guédon 

Département d’études anciennes et de sciences des religions 

Université d’Ottawa, Ottawa (Ontario), Canada

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Pak Ok-Kyung, 2019, Jamnyo (haenyo) divers from Jeju in Korea, preface by Kyung-Soo Chun, translated from English by Alice Boucher. Geneva and Lausanne, Cultural Foundation Musée Barbier-Mueller and Ides et Calendes, 176 p., Maps, illustrations, glossary, bibliography.

Under the welcoming exterior of an album of photographs (taken by Ok-Kyung Pak and Koh Sing-Mi), this book offers us a succinct but rigorous ethnographic study of the jamnyo, women freedivers, of Jeju, South Korea, an 1840 km2 volcanic island located off the Korean Peninsula. The Jamnyo (haenyo) divers of Jeju, Korea is part of a growing interest in societies where women occupy important social positions. Like the female Ama divers of Japan, the jamnyo have long supported their communities with their fishing activity. More recently, they have attracted the attention of journalists and tourism companies, but few researchers have addressed the women themselves,

There are very few non-Korean language sources for Jeju Island society; this new contribution in French is therefore a priori welcome. Pak's book also stands out for its classical ethnographic approach which is partly emic: most Korean references indeed serve the neo-Confucian ideals of mainland Korean civilization, considered as the ideal reference or "real culture" by Korean scholars. On the contrary, Pak takes as its starting point the culture experienced locally by the women themselves. This is therefore an original contribution of great interest. Color photographs are more than illustrations: they demonstrate on the one hand the part of the landscape in the identity of the islanders and, on the other hand, personal commitment, 

Cho Hae-Jeong, Korean ethnologist, in 1978-1979 approached this “culture of women” through a feminist approach. While agreeing to her colleague's conclusions, Pak takes a broader view of the historical, social, cultural and religious context  of the lives of these women. She has in her sights both female and male voices, Confucian rites as well as shamanic rituals, as much difficult and painful historical relations with the outside as technological developments and upheavals in the international market. At another level, this monograph is also a passionate plea for the respect due to these women, and also due to the legacy they leave to the world, registered in the intangible cultural heritage of humanity by UNESCO since December 2016. . 

The work is divided into five descriptive chapters followed by a short conclusion. 

The first chapter covers the history of this people which was, until the end of the first millennium, a semi-independent maritime and commercial kingdom. Jeju Island then had to suffer more than ten centuries of looting and successive invasions by the Korean kingdoms (918-1392), then by the Mongols (1260-1368), then by the Koryo kingdom (until 1392 ) who made Jeju a military fortress, imposing taxes and tributes on families, and forcing men - and even women - to serve in its armies. The Korean kingdom of Choseon (1392-1910) locked Jeju into a rigid neo-Confucianism, destroying shamanic shrines (1702), limiting fishing and ultimately imposing a quarantine of two centuries on the population (between 1629 and 1839). Women took over to ensure the subsistence of their families. In 1910, the Japanese armies reorganized the work of women for the benefit of Japan. The end of World War II saw new revolts in Jeju, including the famous insurrection of April 3, 1948, known as the "Leftist", whose repression left 30,000 dead (one tenth of the population), destroyed 160 villages and lasted until at the end of the Korean War in 1953. Jeju was sidelined and forgotten by the mainland. It was not until 1960 that the economy recovered with the export of seafood and orchard products which enabled women to confirm their dominance over the economy and their independence, gains endangered by the development of a new industry: mass tourism.  

The second chapter describes Jeju's particular kinship system, which locals call kwendang. This bilateral kinship system coexists with elements of a strictly patrilineal and neo-Confucian kinship system, which asserts the superiority of men and controls their official status in public and official affairs. On the other hand, on a daily basis, Pak describes pragmatic kinship relations, admitting horizontal links where neighborhood, cohabitation and cooperation are essential factors, interwoven in the territory and the life of the village, hence the term kinship of village.The village is made up of nuclear families linked together by the kwendang, whose members are recruited for major works, and which allows women, heads of families, 

The third chapter describes the world of female divers. The jamnyo work in teams made up of women from the village, who are therefore related. The product of their fishing feeds their families and ensures the financing of the activities of the village. An activity once shared with men, diving fishing is dangerous: it requires skill, discipline and cooperation among divers, and it is supported by rituals that emphasize the sacred bonds of kinship between the inhabitants of the earth and the powers of the Earth. sea. Men, formerly fishermen, sailors and horse breeders, no longer have access to the sea.

The fourth chapter details the rituals of the local shamanic complex. This complex endows women with a matrilineal lineage which makes them descendants of the local goddesses and, ultimately, of the dragon goddess, ancestral goddess of the sea. These goddesses endorse, among other things, diving and product collection activities. of the sea by women. The eighteen thousand local deities (of which 80% are goddesses) honored in the 350 shrines of the island welcome men and women from their villages for community rituals organized by women, especially divers, although men can also participate. A second system of male and neo-Confucian rituals, led by priests, is addressed to ancestors of the paternal line. Note: the sanctuaries preserve the archives and the shamanic oral literature preserves the collective memory by recalling historical events.

The fifth chapter summarizes the influence of neo-Confucianism in Jeju. Korean administrators could only impose on the island a weakened version of Confucian standards that remained an unfulfilled dream for the elites of the small colony. As Pak explains, the question of the identity of the island as a culturally different society from other Korean territories is the central theme of scholarly studies of Jeju, studies which take up notions like a "double reality" or a " culture of compromise ”. But Pak contests these notions and supports the idea that the culture of Jeju was built on the coexistence of elements of the continental culture with an indigenous culture still active and which supports in particular the independence of the women: relationship between a dominant national system [in this case,

The jamnyo (haenyo) divers of Jeju, Korea necessarily leaves us unsatisfied with regard to the origin of this particular social system, as the author alludes, without concluding, to roots that seem deeper than historical circumstances. and geographic areas favored by Korean authors as an explanation of matrilineal tendencies. The author refutes, implicitly but firmly, the classic pattern of matrilineality caused by the weakening of male domains and the need for women to take charge of fishing and work in the fields. The islanders agree in recognizing a double system of kinship, one which can be dated from the 17th century, the other which seems older, especially since it corresponds in a certain way to that of pre-Confucian Korea. Next,

If almost all of the authors cited take up the idea that neo-Confucian ideology has failed to establish itself definitively on Jeju Island because the natural environment is too harsh for a normal society to develop there, Pak provides, without imposing itself, enough clues to suggest another hypothesis: could it be that the inhabitants of Jeju resisted the Chinese models because of the strength of their original, if not matrilineal, culture, at least bilateral, and an ideal of social and ecological cooperation firmly rooted among women?

This book is accessible without prior knowledge and is intended for the general public as well as for researchers. 

Marie-Françoise Guédon 

Department of Ancient Studies and Religious Studies 

University of Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada


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